Interview de Patrick LHOPITALIER – Natation préparation athlétique pour tous

Natation-Préparation athlétique pour tous

Coacher des champions internationaux : c’est la mission que relève depuis onze saisons Patrick Lhopitalier au sein du Cercle des Nageurs de Marseille. Une expertise que ce préparateur sportif offre aux lecteurs des éditions Amphora tout au long des pages de son ouvrage intitulé : Natation – Préparation Athlétique pour tous. Une véritable plongée dans la préparation athlétique du nageur en dehors des bassins afin de lui permettre d’aller plus vite dans l’eau. Une méthode précise et adaptée à tous niveaux, du nageur du dimanche au grand champion international.

– Votre livre publié aux éditions Amphora est un formidable recueil d’expérience au contact des plus grands nageurs de la planète comme Florent Manaudou, Camille Lacourt…

Effectivement, j’ai synthétisé onze années d’expérience comme entraîneur d’athlètes de très haut niveau au Cercle des Nageurs de Marseille. J’ai aussi coaché l’équipe de France et je travaille au sein de la Fédération Française de Natation depuis 2009. Je désirais mener un travail de synthèse de mes connaissances sur le sujet de l’entraînement athlétique à travers ce que j’avais vu, ce que j’avais mis en place avec des athlètes de très haut niveau. Je voulais aussi répondre à un vrai besoin d’accompagnement sur les méthodes, les contenus d’entraînement et les orientations de travail pour apporter toutes ces connaissances à tous les entraîneurs qui évoluent dans les plus petites structures. Les entraîneurs de ces petits clubs ont plusieurs casquettes à porter et ils n’ont pas forcément le temps ni toutes les compétences et les informations pour répondre aux différentes problématiques qui se posent à la fois dans leur entraînement et dans la préparation athlétique du nageur.

– Quelle est la place de la préparation athlétique en dehors du bassin par rapport à l’ensemble de la préparation du nageur et de la nageuse ?

Cela dépend du niveau de pratique et des objectifs de performance de chaque nageur et de chaque nageuse. Plus les objectifs sont élevés, plus cette part est importante. On parle de préparation « à sec » pour la distinguer de la préparation dans le bassin. Il faut ainsi préparer son corps qui est son outil pour répondre à toutes les sollicitations qui sont de plus en plus nombreuses et intenses. Aujourd’hui, on se rend compte qu’il existe une très grande hétérogénéité de pratique d’un club à l’autre, d’un âge à l’autre, d’un sexe à l’autre. L’intérêt de ce livre est aussi d’amener les entraîneurs à se demander ce qu’ils devraient faire assez tôt dans la préparation de leurs nageurs et plus précisément de leurs jeunes nageurs afin de proposer des exercices adaptés au niveau de chacun. Par exemple, il faut savoir pourquoi, quand et comment on fait un exercice de renforcement abdominal ou de renforcement des épaules… Ces exercices doivent être réalisés très tôt dans le parcours d’excellence du nageur. La préparation à sec peut varier de 30% à 60% de l’ensemble de la préparation totale en fonction de la période. On met davantage l’accent en début de saison sur l’endurance et la condition physique générale pour préparer l’athlète à des volumes plus importants et plus intenses. Tout dépend de la planification. En effet, plus on se rapproche des grandes compétitions (Championnats régionaux ou Championnats de France petit et grand bassin) qualificatives pour les compétitions internationales, plus on réduit le volume de la préparation athlétique. Cette préparation est indispensable pour optimiser la performance du nageur. Ainsi se pose la problématique dans les petits clubs des créneaux qui ne sont pas extensibles et des orientations données aux entraînements. En effet les entraîneurs doivent faire des choix souvent au détriment de la préparation athlétique et du développement général du jeune nageur. Ils donnent ainsi la priorité aux entraînements en bassin car au bout du compte, la finalité reste l’eau. Ils ne comprennent pas toujours qu’il est important de passer un peu moins de temps dans l’eau pour réaliser un vrai développement des qualités physiques et optimiser l’apprentissage moteur aquatique.

– Comment s’adapter à un Stravius et un Manaudou dont les objectifs peuvent être les mêmes sur 100 mètres ?

Ce sont deux athlètes complètement différents avec des gabarits et une approche culturelle différente par rapport au travail à sec. Cette sensibilité est aussi liée au parcours de chacun et à l’apprentissage de l’athlète. Il est conditionné par l’entraîneur. Romain Barnier, l’entraîneur du Cercle des Nageurs de Marseille, vient des États-Unis et considère la préparation athlétique indissociable de la performance. Le travail passé en salle de gymnastique est indispensable. Il fallait faire prendre conscience de cela à Florent Manaudou. Son gabarit, la puissance qu’il développe par rapport à sa masse musculaire correspondaient parfaitement aux objectifs de la préparation athlétique. Un nageur comme Jérémy Stravius est plus aquatique, plus dans la fluidité, dans la souplesse gestuelle. Ce qui lui permet d’avoir une glisse plus naturelle. Cela n’est pas une machine à déplacer de l’eau comme Manaudou. Ils n’ont pas les mêmes envergures, les mêmes gabarits, les mêmes approches. Stravius est peut-être plus dans l’intellectualisation de sa nage pour s’approprier le mouvement parfait alors que Manaudou va tout défoncer dans l’eau au détriment parfois d’une nage académique. Mon rôle est de les mettre en accord avec leur sensibilité et leur besoin par rapport à ce que je leur demande. Il y a des choses qu’ils aiment faire et des choses qu’ils n’aiment pas.

– Comment rendre efficace une préparation athlétique dans la préparation générale du nageur ?

On part d’une préparation dite générale basée sur la rééquilibration musculaire ou sur la souplesse, puis on s’oriente plus spécifiquement sur les besoins de la nage. On différenciera ainsi les nages à axe long (crawl et dos) où l’on pivote autour de la colonne vertébrale, et les nages dites à axe court (comme la brasse et le papillon) qui demandent beaucoup plus d’ondulations au niveau du bassin. On s’adapte en fonction des besoins de chaque nage. À titre d’exemple, il y a des spécificités différentes entre un dossiste et un crawleur, même s’ils ont des besoins identiques en matière de battements de jambes. Leur position dans l’eau est inversée. Le nageur de crawl évolue la tête face au fond du bassin et l’autre est face au plafond. Il y a donc une problématique posturale différente. Il existe également une différence sur la phase propulsive où les appuis en crawl sont dans l’axe du corps tandis que ceux du dossiste sont un peu plus excentrés.

– L’objectif pour chaque nageur est de finir devant malgré des différences de qualités ?

Il y a plusieurs approches pour finir devant. On peut parcourir une plus grande distance par coup de bras ou alors on peut augmenter le nombre de coups de bras (cycles) en déplaçant moins d’eau mais en le faisant plus souvent et donc plus rapidement. On peut aussi jouer sur les deux paramètres. Jérémy a une coulée formidable et Florent est très explosif mais après il faut se déplacer.

– Plus qu’une préparation physique, c’est une vraie préparation athlétique que vous proposez à Marseille et dans le livre ?

Je suis très sensible au terme « athlète » dans le titre du livre car j’ai l’intime conviction, à travers le parcours athlétique à long terme du nageur, qu’avant d’être un sportif confirmé dans sa discipline, il faut être avant tout un athlète confirmé en ayant un développement optimal des qualités comme l’agilité, la coordination, l’endurance, la souplesse, la force… en commençant très jeune. La spécialisation dans une discipline intervient ensuite. C’est très important, notamment chez les jeunes, d’avoir une approche du développement athlétique à long terne.

– Coacher des athlètes internationaux vous demande aussi de vous remettre en question en permanence ?

Finalement, lorsque l’on coache des super athlètes, on doit sans cesse se remettre en question pour progresser et trouver de nouveaux facteurs de l’optimisation de la performance. Il y a une base commune sur l’excellence et sur le rapport vis-à-vis de soi. L’athlète de haut niveau est forcément égocentrique car il exige le meilleur de lui-même et de son entraîneur. Mais parfois il n’est pas non plus toujours très rigoureux. Il y en a qui sont plus matures que d’autres, plus sérieux que d’autres avec une appréciation plus précise de la rigueur et de l’exigence que demande le haut niveau.

À Marseille, l’émulation motivait tout le monde. On a traité un sport individuel comme un sport collectif. Je ne venais pas de la natation mais plutôt du rugby et des sports de combats. Ma rigueur en plus apporte beaucoup. Le manque de rigueur, c’est ne pas avoir une approche professionnelle. Manquer un entraînement, cela peut arriver à n’importe qui. Manger Mac Do matin, midi et soir, ne pas profiter des périodes de repos pour récupérer, cela est contreproductif à la performance en plus de manquer de respect à ses entraîneurs et au travail qu’ils accomplissent. On parle souvent des athlètes et de leurs résultats mais on ne parle pas des coache qui sont présents matin, midi et soir.

– Vous avez pu profiter de l’émulation dans le groupe ?

Le collectif de très haut niveau permet de s’autoréguler car si un nageur ou une nageuse prend un peu de retard, il se pénalise dans sa progression et il pénalise le groupe dans le concept de concurrence vis-à-vis des autres. C’était fantastique ! Ils évoluaient dans leur bulle de très haut niveau. On était jalousé pour cela aussi. On n’était pas toujours conventionnel mais les valeurs d’équipe étaient très fortes. Ils se sont retrouvés sur la rigueur, la compétition, les conneries, les sanctions… et au final la performance.

– Avec une préparation athlétique qui est complémentaire à la préparation dans l’eau ?

La préparation athlétique n’essaie pas de reproduire ce qu’ils font dans l’eau, mais développe les groupes musculaires qui permettent d’optimiser la réalisation technique d’un geste dans l’eau en y rajoutant de la souplesse, de l’endurance, de la force, de l’explosivité, de la puissance… On s’adapte en fonction des profils entre ceux qui sont moins explosifs, ceux qui sont moins forts, ceux qui sont moins endurants. Attention car le développement excessif de la masse musculaire n’est pas l’ami du nageur. Souvent synonyme de perte de souplesse, le développement musculaire est aussi associé à une prise poids. Et plus un nageur est lourd, plus il faudra se dépenser pour se déplacer vite dans l’eau. Il faut donc individualiser le travail en fonction des qualités de chacun et de leur expérience. Travailler avec un groupe pendant des années permet de savoir ce qui fonctionne ou non pour ajuster ensuite le travail.

– Peut-on anticiper certaines performances ou contre-performances avant une compétition ?

C’est possible. Je ne veux pas prédire ou juger sur un point de vue purement athlétique la performance future d’un nageur car c’est un tout. C’est aussi un état d’esprit, s’il est sur une bonne dynamique ou non. S’il plafonne sur un plan athlétique, il éprouve également des difficultés d’un point de vue général. Mais les sprinteurs ont des besoins spécifiques en force et puissance. S’il y a une baisse de performance par rapport aux années passées, il n’y a généralement pas de surprise dans le bassin.

– Votre rôle est central mais aussi très risqué ?

L’objectif est d’éviter les blessures et d’optimiser les performances. Mon objectif premier est de garantir l’intégrité physique de l’athlète. Ma mission est qu’il ne se blesse pas. Il faut qu’il s’étire, s’hydrate, mange et dorme convenablement pour espérer améliorer ses performances. Mais je ne suis pas là pour l’éduquer. C’est à lui d’assumer et d’être acteur de son projet sportif. Je suis là pour tirer les bonnes ficelles et améliorer ses résultats.

– Dans le livre, vous proposez de nombreux témoignages comme ceux de grands champions ou d’entraîneurs prestigieux ?

Les grands témoins apportent beaucoup à ce livre car je les ai entraînés ou encadrés. Cela apporte un plus. C’est une chance de les avoir côtoyés ou de les avoir entraînés. C’est un clin d’œil important.

C’est un livre qui partage mon expérience. Tous les publics sont concernés, du nageur du dimanche au champion. Le nageur de 50 ans qui évolue en catégorie Maître est concerné par le livre. Il s’adresse aussi à un jeune et à son coach, mais aussi à un débutant qui veut aller plus vite ou qui recherche un bien-être dans l’eau.

– Quel est le grand message du livre ?

Le grand message du livre est que si l’on a des objectifs de performance, nager c’est bien, mais se préparer à nager c’est mieux. En fonction de son âge, de son sexe, des objectifs, de ses limites… Cela n’est pas uniquement battre des bras et des jambes. Il faut bien évidemment aller dans l’eau, mais on peut aussi développer des qualités de coordination, d’agilité, de souplesse, de tonicité posturale et de force. Tout cela passe par la préparation athlétique.

Pour en savoir plus : 

Natation – Préparation Athlétique pour tous

Patrick LHOPITALIER
Editions Amphora

Patrick LHOPITALIER

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