Il est des fois où l’on est en droit de se demander si le Saint écossais a vraiment existé. Plus précisément, on peut parfois s’interroger sur le fait que les gentilshommes de la sainte bourgade soient, comme leur canonique patron, faits de chair et de sang tant leur vision du golf (et de ce que ce sport deviendrait) était sage et clairvoyante. Bien sûr, régulièrement, les règles de golf sont revisitées. Mais on est obligé d’être émerveillé par leur sagacité originelle (1744). Et n’en déplaise à ceux qui prétendent que les règles de golf sont compliquées et injustes, la cuirasse de ce preux chevalier peut difficilement être prise à défaut. Au mieux peut-on dire parfois que dans une situation insolite (comme le fait que la balle bouge lorsque le joueur est à l’adresse) la pénalité est sévère. Mais il faut reconnaître en même temps que ne pas sanctionner la situation ouvrirait la porte à une foule de comportements… interprétables !
Dans l’appendice consacré au matériel, le fait d’imposer un angle minimum de 17° entre le shaft du club et la verticale nous donne envie de crier au génie ! Cette précision interdit au joueur de créer un geste pendulaire vertical (au putting, notamment) qui rendrait l’exécution du coup trop simple et lui enlèverait toute sa saveur.
Bien sûr, concernant la forme des rainures sur la face de club, le fait d’autoriser les stries carrées (qui augmentent la quantité d’herbe absorbée par le club à l’impact et délivrent plus de contact avec la balle et donc plus de backspin) puis de les interdire avant de les autoriser de nouveau ressemble un petit peu à une hésitation maladroite. Mais, bon, le chat à tout de même fini par retomber sur ses pattes !
Par contre, en ce qui concerne l’ajout de masses amovibles sur la tête de club, on ne comprend plus rien. Et les conséquences en sont dramatiques… Elles sont tellement énormes et vont tellement à l’encontre de l’esprit du jeu qu’on peut légitimement se demander si St Andrews n’aurait pas cédé sous la pression des fabricants de matériel dont la puissance n’est plus à démontrer et qui, comme tous industriels, ont besoin de renouveau dans les règlements pour explorer des nouvelles voies qui seront synonymes de nouvelles recettes. Car l’impact de ces masses amovibles sur le jeu est colossal. Preuve en est qu’il n’existe plus à ma connaissance de fabricant ne possédant de clubs qui soient dotés de cette technologie (utilisée en tout premier par la marque Taylor Made il y a une quinzaine d’années).
Or en quoi consiste-t-elle ? Elle consiste à créer un décalage artificiel entre le centre de gravité de la tête de club et celui de la balle lorsque ces deux objets sont alignés. Ce décalage est amovible, comme son nom l’indique, et peut donc évoluer dans une direction ou dans l’autre en fonction du joueur et de ses trajectoires de balles. La vraie catastrophe, celle qui hérisse le poil de tous les enseignants et de tous ceux qui aiment l’intransigeance de ce sport, c’est que ces masses amovibles ont tué le swing et ont réduit à néant la recherche du geste juste. Le but du golfeur à « masses amovibles » n’est plus de faire un geste juste mais de faire un geste répétitif. Le club peut redresser la trajectoire de balle, et la rendre juste avec un swing faux !
Ce n’est pas vraiment ce que l’on appelle tirer un sport vers le haut et nous constaterons de ce fait un appauvrissement du niveau de jeu global que ce soit sur le plan technique ou sur le plan de la connaissance.
Pour être honnête, lorsque cet appendice a été validé, j’ai cru comme l’essentiel de mes confrères qu’il s’agissait d’une plaisanterie et que les gardiens du temple allaient y mettre fin dans les plus brefs délais. Le temps est passé et le ver est dorénavant tellement bien installé dans le fruit qu’il ne semble plus possible de pouvoir l’en déloger.
Et dire que tout cela aurait pu être évité… Il aurait suffit de l’ajout d’un seul mot : le mot « verticalité ».
Si seulement il avait été précisé que l’ajout de masses amovibles était autorisé dans la « verticalité » de la face de club et non pas pas dans sa « latéralité », seule la hauteur du coup aurait pu être modifiable. Et non pas les effets latéraux (slice, hook, fade, draw, etc) comme c’est le cas aujourd’hui. Et cela aurait été une concession acceptable.
Ne semble t-il pas tolérable qu’un joueur de petite taille, par exemple, adapte ses clubs pour être « square » avec ceux, plus grands, qui la portent naturellement plus haut ?
Là, trivialement, on peut dire que St Andrews s’est franchement « planté » ! Il a tué la recherche de perfection, essence ultime du jeu, et l’a dévoyée en substituant au mot vulgarisation celui de vulgarité.
Car ne nous trompons pas : avec cette petite plaisanterie, plus question de rendre juste un swing « massivement modifié » ou la balle subira le décalage des centres de gravité et terminera dans le décor à l’instar d’une formule 1 conduite par un as du volant mais avec un pneu à plat !
Allez, sans rancune ! L’erreur est humaine, n’est-il pas ?
Il nous reste à lever un verre pour fêter la condition humaine de Sa Sainteté et, pour le faire dignement, je pense qu’un feu de la St Jean serait le bienvenu. Un feu alimenté par tous nos clubs « à masses amovibles », bien sûr…