Il y a une erreur fondamentale de vocabulaire qui est à l’origine d’une confusion qui s’installe dans l’esprit de la masse des pratiquants de « gestuelles de combat », à mesure que disparaît la connaissance réelle qu’ils peuvent encore en avoir aujourd’hui. C’est un constat qui s’imposait dès les dernières années du siècle précédent. Et, sur fond de désinformation et même de déculturation dans tout ce qui touche au domaine, cela ne va pas s’arranger. Je ne fais que me répéter à ce sujet depuis très longtemps.
Les arts martiaux, et parmi eux le Karaté, n’ont jamais été des sports de combat. La notion de sport n’existait pas aux époques où ils ont été conçus et mis au point. Ils devaient servir à combattre pour survivre, au besoin, pas servir de cadre à un jeu, même violent, mais un jeu tout de même. Le sport de combat est un avatar de l’art martial. Une pâle imitation.
Il y a erreur de registre. Et c’est ce que j’ai toujours voulu démontrer et illustrer dans mes livres. Il fut un temps où plus de 20 titres consacrés aux arts martiaux figuraient dans le catalogue Amphora, et dans tous ces ouvrages pionniers dans les années 1980-1990, j’écrivais la même chose, en l’illustrant différemment : Karaté, Judo, Ju-jitsu, Kobudo, etc. Mes textes ont toujours été clairs à ce sujet : si la ressemblance de la gestuelle est patente, l’esprit est fondamentalement différent. Mon premier titre, « Karate-do », paru chez Amphora en 1969, soulignait déjà la différence d’avec ce qui pouvait en être une copie sportive.
À la différence des techniques de combat formatées dans une direction sportive, l’art martial apprend à se battre s’il le faut, mais aussi à éviter le combat, si cela n’est pas absolument nécessaire. Il n’y a aucune agressivité de départ. Il contient au contraire un message humain, qui en fait une véritable Voie de l’Homme. L’art martial est composé de Bu-gei (techniques pour la guerre) et de Bu-do (voie de la guerre). Les valeurs du martial tiennent du domaine éducatif, que j’ai toujours voulu mettre en avant, parce que cet objectif a toujours été celui de ma vie professionnelle. Le professeur d’histoire que j’étais a vu dans la démarche martiale un levier possible pour enseigner les valeurs dans les dojos dignes de ce nom et dont c’est la vocation par définition. Des milliers de pratiquants ont cheminé à travers mes ouvrages, où j’ai toujours clairement annoncé le sens de ce que je désirais transmettre. Des centaines d’entre eux ont eu la correction et la gentillesse de me le dire, même s’ils ont choisi par la suite la voie compétitive. Et même si des milliers de mes lecteurs ne pratiquent plus (alors que je pratique encore), quantité d’autres ont repris la pratique en dojo lorsqu’après avoir muri dans la vie, ils ont admis qu’il y a réellement quelque chose à trouver dans une pratique purement martiale. À des âges où ceux qui avaient fait le choix de la pratique sportive ne pratiquent plus depuis longtemps, coupes et médailles remisées sur quelque étagère. L’art martial, quel qu’il soit, parle de la vie et de la mort, pas d’une victoire éphémère en un temps et un lieu donné, suivant certaines règles. Chacun garde évidemment le choix de l’orientation de sa pratique, il faut juste que les choses soient claires et bien définies. Sans la présence du « do » (l’esprit de défense des valeurs de l’Homme), la problématique du combat est insuffisante, imparfaite et au bout dangereuse car sans contrôle. Sans la force et l’actualisation de « gei » (technique), l’offre d’une simple gestuelle risque de ne pas suffire. Cela est vrai pour n’importe quel style de karaté traditionnel encore pratiqué aujourd’hui. Mais aussi pour n’importe quel type de karaté sportif. À l’enseignant de tracer honnêtement le cadre de ce qu’il enseigne. Tout cadre a ses limites…