Dès les premières années de ma pratique, j’ai été très rapidement heurté par la dilution des arts martiaux en clones sportifs, notamment par celle du karaté (on parlait dans les années 1970 encore de Karate-do). Je n’ai cessé d’écrire, des pages, des articles, des chapitres, des livres, je n’ai jamais arrêté d’enseigner ma conception du martial dans nombre de dojos du monde, argumentant et démontrant, pour attirer l’attention sur le dépeçage progressif d’un concept que je n’avais certes pas été le seul à aimer tel qu’il était apparu à ses débuts.
Au cours de mes presque 60 ans de pérégrinations sur la route du martial, je reste toujours persuadé que la tradition martiale garde les moyens pour nous aider à vivre, si nous savons la lire intelligemment. Et qu’il faut essayer encore de reconstituer efficacement son tissu éducatif aujourd’hui bien en lambeaux. Si on ne tente rien pour freiner cette perte de substance, contenant comme contenu seront également soufflés par le vent de l’Histoire, dans l’ignorance et l’indifférence les plus totales.
La fantastique histoire des arts martiaux mérite de n’être ni oubliée ni dénaturée. Car elle parle des techniques mais aussi d’engagements, de passions, de souffrances, de volonté de survie, de valeurs éternelles, de haines et de trahisons aussi. Les hommes qui l’ont écrite, experts ou réels maîtres d’arts martiaux du temps jadis, souvent légendes de leur vivant, sages ou enfants terribles pour leurs contemporains, souvent hauts en couleurs, adulés ou contestés, craints ou défiés, combattants redoutables et parfois guides spirituels, tous ces hommes, et aussi quelques femmes, toujours avec leurs qualités et leurs défauts, constituent une étonnante galerie de portraits dont les pratiquants d’arts martiaux contemporains à travers le monde se réclament encore. Que ce soit en Inde, en Chine, à Okinawa, au Japon, en Corée, ou ailleurs dans tout le sud-est asiatique, on ne peut qu’être saisi par les dénominateurs communs de cette démarche martiale, produit d’une longue histoire.
Il fallait également laisser une trace de ce patrimoine-là, aussi bien physique que culturel, des hommes. Il ne faudrait pas que s’efface un message venu de si loin, transmis à travers tant de secousses de l’Histoire, simplement parce que nous aurions définitivement accepté de le voir brouillé par une déculturation voulue par l’air du temps. Car rien n’est plus préjudiciable au futur des hommes que la perte de leur mémoire.
C’est dans cet esprit que j’ai entrepris de regrouper dans un document-source les résultats de mes recherches, avec l’aide précieuse de mon épouse, fidèle « complice » de ma passion martiale depuis plus d’un demi-siècle et bien au fait de toutes mes interrogations en ce domaine. Afin que perdure le fil de la démarche martiale entretenue depuis si longtemps.