Certains pensent que c’est le physique, d’autres affirment que c’est la vitesse. Pour Freddy Maso, l’arme absolue en rugby, c’est la passe. Un geste technique qui offre toutes les opportunités dans un jeu dont l’ovale du ballon crée de très nombreuses incertitudes. Ce ballon, parfois si difficile à transmettre et à saisir, est le centre du rugby. La passe permet de prendre le meilleur sur les défenses, de temporiser dans le jeu, de rechercher la faute adverse. Éducateur au sein du prestigieux club de l’ASM Clermont Auvergne, Freddy Maso offre dans son livre publié aux éditions Amphora et intitulé La Passe… et le jeu continu – 120 situations d’entraînement pour toutes catégories, des situations tactiques qui s’appuient sur la passe. Des fiches personnelles que Freddy Maso met à disposition des éducateurs de la France ovale. Une véritable mine d’or. Et le plaisir du jeu continue…
– À qui s’adresse votre livre sur la passe en rugby ?
Mon livre s’adresse à tous les éducateurs des écoles de rugby. À l’origine je ne pensais par écrire un livre. En ma qualité d’éducateur au sein du club de l’ASM Clermont Auvergne, je voulais seulement réaliser des fiches pour organiser et faciliter mes entraînements avec les jeunes du club. Une démarche personnelle que j’ai décidé de mettre à disposition de tous les éducateurs. Un outil pédagogique qui devient un projet collectif pour tous à travers la passe et ce livre publié aux éditions Amphora.
– En quoi est-il essentiel de développer les qualités des jeunes dès l’école de rugby ?
Il est effectivement très important de développer la motricité des enfants le plus tôt possible. L’apprentissage du rugby et de la technique individuelle est fondamental. Et cela se produit dès les écoles de rugby. La passe est d’ailleurs l’un des symboles d’une technique essentielle à acquérir dès le plus jeune âge.
– Quel est le rôle de la passe en rugby ?
Le rugby est un sport collectif, la passe constitue un vecteur de communication entre les joueurs. La passe est un geste qui exige d’être appris dès le plus jeune âge. L’apprentissage doit être progressif, de la passe sans opposition jusqu’à la passe dans le contexte de jeu. Il faut ancrer cette technique essentielle dans le cerveau de chaque jeune joueur. C’est une qualité essentielle du développement du jeune rugbyman car elle lui permet de développer sa perception visuelle et donc sa lecture du jeu. Le rugby se joue en portant, bottant ou passant le ballon. La passe constitue donc un des moyens pour déstabiliser l’équipe adverse.
– Pourquoi un livre sur la passe ?
La passe est un geste complexe. Le profil des éducateurs a changé ces dernières années. Nous avons de plus en plus des éducateurs-parents qui ne viennent pas du milieu du rugby. Ils sont tout neufs. Il faut donc les aider. Internet est une source de données. Cependant, si des vidéos existent, cela ne donne pas les éléments ou les comportements attendus, indispensables pour les éducateurs afin de transmettre les bons conseils. Pour les plus aguerris, ce livre permet de piocher de nouvelles idées et apporte je l’espère une approche peu commune.
– Existe-t-il assez d’éducateurs dans les clubs de rugby ?
Malheureusement, si le nombre d’éducateurs pourrait être suffisant, leur profil a changé ces dernières années. Ce sont souvent les pères qui assurent les entraînements pour les plus jeunes, accompagnés parfois par des éducateurs, mais cela n’est pas toujours le cas. Dans notre politique, il n’est pas envisageable pour un club comme Clermont de recruter un éducateur voisin qui porte parfois sur ses épaules tout un club. S’il part, le club perd de la compétence indispensable pour former ses futurs joueurs d’où pourrait naître un futur joueur Pro de l’ASM voire un international. On le sait aujourd’hui, les joueurs de l’Equipe de France n’ont pas commencé à Toulon, Toulouse… Rien ne sert donc de faire le vide autour de soi.
– Doit-on exclure la polyvalence des éducateurs dans les écoles de rugby ?
Oui car nous commettons parfois une erreur : celle de vouloir tout enseigner aux jeunes des écoles de rugby. L’entraîneur enseigne la passe, puis le plaquage, puis le jeu au pied… à travers des cycles courts. Mais en définitive le jeune joueur n’a pas le temps d’assimiler le contenu de formation. C’est comme à l’école, si l’enfant faisait dix minutes de calculs, puis quinze minutes de lecture, puis quinze minutes de course à pied ou de saut en longueur, puis trente minutes d’Histoire… Il éprouverait des difficultés à tout assimiler et encore plus à progresser dans tous les domaines.
À Clermont, nous nous concentrons sur deux thématiques par saison pour plus de cohérence. Puis, lorsqu’il a quatorze ans, le jeune rugbyman fait un bilan et une révision générale de ce qu’il a acquis. Au final, un jeune joueur qui joue le mercredi après-midi dans une école de rugby ne joue que trente heures effectives par saison lorsque l’on déduit les entraînements manqués, le temps du goûter, les terrains impraticables l’hiver… Il faut donc être précis pour rivaliser avec des nations comme la Nouvelle Zélande ou les Îles Fidji, où les enfants jouent tous les jours.
– Plus que le défi physique ?
Le rugby moderne a vu s’accroître ces dernières années l’importance du physique pour répondre à des défenses de plus en plus organisées. À mon sens, cette évolution pourrait être le reflet de nos manques techniques. En effet, il est plus difficile de faire progresser un joueur sur le plan technique que physique après sa puberté. D’où l’importance du travail technique dans les premières années de formation, là où l’apprentissage moteur est à son apogée.
On le voit dans les catégories de jeunes. Il y a une différence importante entre les jeunes nés en début d’année et ceux nés en fin d’année. La différence est d’abord physique. Dans les équipes de moins de 14 ans, il y a un fossé entre ces jeunes. Il y a un an de différence. Les plus âgés profitent de leur supériorité physique pour faire la différence tout seuls sans jouer avec les autres. Ils n’ont pas besoin de la passe pour gagner. C’est un handicap dans l’apprentissage des techniques du rugby. Pourquoi ne pas développer le rugby sans contact dès le plus jeune âge pour apprendre à jouer avec les autres. Nous le faisons à Clermont en développant le rugby en salle basé sur la passe et le mouvement. Nous pouvons travailler la précision, le mouvement. Nous testons parfois d’autres sports comme le handball avec une passe rapide et précise. Le ballon rond est moins aléatoire que le ballon ovale !
– Est-ce la meilleure arme tactique ?
Comme j’ai pu le développer dans mon livre, la technique pourrait être un prérequis de la tactique. La technique serait prioritaire dans l’apprentissage. Sur le terrain, un joueur percevrait ce qu’il est capable de réaliser.
– Combien existe-t-il de « variétés » de passe ?
Toutes les passes que l’on peut voir sur un terrain sont différentes, il n’y a aucune passe identique. Même si l’on peut essayer de les répertorier, la longueur, le contexte… feront que chaque passe sera unique.
Malgré tout, si l’on essaye de les classifier, on le constate dans le jeu à 7, le joueur de Nouvelle Zélande possède 3 ou 4 types différents de passe, le joueur Fidjien en a 3 ou 4 fois plus. Les statistiques montrent que, finalement, les Fidjiens restent plus performants sur des séquences courtes et donc avec un minimum de passes. La passe oui, mais ce n’est pas le nombre qui fait son efficacité, mais sa qualité. Dans ce domaine, la passe la plus importance, selon moi, est celle du 9. Si la passe du demi de mêlée n’est pas assurée, le demi d’ouverture ne pourra rien faire.
– Est-ce l’unique moyen pour créer des décalages et surprendre la défense adverse ?
Je pense que la capacité de jouer et gagner ses duels est un autre facteur déterminant pour être performant. La qualité de la passe est essentielle. Je me suis rendu compte, après une analyse de nombreuses séquences vidéos issues de matchs de très haut niveau comme les matchs de Coupe d’Europe, qu’il existait un point commun entre tous les essais réussis à l’issue d’un jeu de passe. Le déclic s’effectue lors de la deuxième passe après la passe du demi de mêlée. Le 9 passe au 10 et la passe de ce dernier permet le décalage ou le franchissement lorsqu’il est en mouvement. Il faut réduire le nombre de passes pour parvenir à prendre en défaut la défense adverse.
– On pense à la passe à la main mais que dire de l’arme que représente la passe au pied ?
Le jeu au pied est un geste technique complexe qui fait souvent basculer un match. Au même titre que la passe, il doit être appréhendé jeune avec de la répétition et corrigé par des spécialistes. C’est souvent ce dernier point qui fait défaut en France. Il faudrait peut-être en faire un livre…
– Quelles sont les qualités obligatoires de la transmission du ballon ? Précision ? Vitesse ?
La passe est la résultante de plusieurs conditions. Ce qui en fait un geste complet. Elle demande équilibre, coordination, vitesse, précision… Elle doit être surtout adaptée à la situation proposée.
– Quelle est la tendance du rugby de demain ? Doit-on absolument chercher à faire vivre le ballon, faire « vibrer le cuir » comme les All Blacks en Coupe du Monde face à la France ?
Devant une défense de plus en plus efficace, la passe de qualité peut être une solution pour la battre. Pour cela, il faut que les joueurs soient capables de transmettre le ballon dans des situations plus ou moins complexes et ce quel que soit leur poste. En tout cas, cela a l’air de marcher pour les All Blacks, puisqu’ils sont Champions du Monde.
– Quel est le message du livre ?
Ce livre, au travers de la passe, était pour moi une manière de valoriser l’aspect collectif de notre sport. Un sport où l’aspect individuel prend de plus en plus d’importance. Il est aussi un moyen de reposer les questions sur notre philosophie de formation. Est-elle en adéquation avec le rugby actuel…?
– Existe-t-il des « écoles », des tendances, des philosophies de jeu véhiculées par la passe ? Le livre est-il inspiré de la philosophie de jeu de l’ASM ?
Évidemment, la quasi totalité des situations proposées dans ce livre a été mise en place à l’ASM et reflète aussi l’importance que l’on porte sur la technique individuelle dans la formation de nos joueurs.
Mais le point commun à toutes ces techniques est que la plus belle passe est celle qui arrive à son destinataire et qui fait la différence !
Pour en Savoir Plus :
La Passe… et le jeu Continu – Rugby
Freddy Maso
Editions Amphora