Le tennis a beau être considéré comme un sport conservateur, avec des usages qui à Wimbledon remontent à la fin du xixème siècle, c’est pourtant un des sports le plus ouvert à la technologie, que ce soit dans le jeu, dans le matériel ou dans l’arbitrage. Les évolutions techniques et technologiques concernant principalement l’équipement du joueur (raquette, cordage…) ont eu une forte incidence sur les évolutions tactiques du match de tennis.
Le perfectionnement du matériel, en accélérant le jeu, a poussé les responsables du tennis à compenser cette évolution en ralentissant les surfaces et les balles. Depuis le début des années 2000, l’harmonisation des conditions de jeu entre les surfaces rend par exemple le service/volée plus difficile à pratiquer sur le circuit ATP.
De même, depuis une dizaine d’années, certaines nouvelles technologies (objets connectés, statistiques en temps réel, traitement Big Data…) sont de nature à profondément affecter la préparation et même le déroulement tactique d’un match.
I/ Les principales évolutions technologiques au tennis
Aidées en cela par une fédération internationale plus ouverte à l’innovation que bien d’autres, les autorités mondiales du tennis ont toujours accepté les concepts nouveaux à condition de pouvoir les encadrer[1]. Il y a eu trois tendances successives :
- L’innovation sur le matériel
L’évolution de la technologie a naturellement commencé par la raquette avec en 1976 l’apparition de la raquette en métal. Elle s’est poursuivie dans les années 1980 avec la mise sur le marché des raquettes en composite et des grands tamis. Les années 2000 ont vu l’émergence des profils aérodynamiques. Il y a eu des évolutions tout aussi conséquentes dans le domaine des cordages (multifilament, hybrides, polyester…). En 1997, l’introduction d’un cordage copolymère monofilament, fabriqué par Luxilon, a notamment permis de trouver des angles très courts croisés, tout en gardant la balle dans le court, notamment grâce à davantage de lift.
Ces nouveaux équipements ont eu un impact majeur sur le jeu. Leur développement a permis de frapper de plus en plus fort, puisqu’en 10 ans, la vitesse moyenne des services sur les tournois du Grand Chelem a augmenté de 10 km/h, ce qui est considérable. L’essentiel de cette augmentation de la vitesse de jeu est lié à ces nouveautés technologiques.
- L’innovation sur le traitement de la donnée
La seconde vague technologique est venu du l’utilisation de plus en plus massive des informations statistiques de toutes sortes avec l’utilisation du traitement du signal et de l’émergence des objets connectés.
Leur utilisation a été d’abord pensée pour l’arbitrage dans les années 1980 avec le remplacement du périlleux office de juge de filet par un capteur électronique et l’apparition d’un système laser infrarouge « Cyclops » permettant de juger les balles de service en longueur. À partir des années 1990, l’attention a été portée sur l’information elle-même avec l’apparition en 1991 à Wimbledon du radar permettant de mesurer la vitesse du service.
L’émergence d’internet et des objets connectés a permis de développer à partir des années 2000 les habits connectés (pour connaître les battements cardiaques, la distance parcourue…), puis les capteurs et montres connectées, avec en point d’orgue le lancement sur le marché en 2012 de la raquette connectée.
En 2012, Babolat a en effet mis sur le marché une raquette “intelligente” capable de se connecter à un smartphone et de décortiquer son jeu grâce à de nombreuses statistiques. Équipée d’un accéléromètre, d’un gyroscope et d’un microprocesseur, la « Babolat Play» capte chaque frappe de balle et collecte des données précises qui permettent de faire un bilan des performances après un match. Elle n’offre toutefois pas la possibilité de l’analyse des résultats en « live ».
L’avantage de cette solution est d’être accessible au grand public. L’inconvénient est de ne pas pouvoir faire le lien entre le coup frappé et son résultat, ce qui en réduit l’intérêt pour l’analyse tactique.
- L’innovation sur le traitement de l’image
C’est ce point faible qui conduit dès 2006 à développer des solutions à base de caméras HD tout autour du court et d’analyser en temps réel les images de chaque coup. Cette technologie assure la capacité d’analyser les performances spécifiques de chaque coup et de leur impact sur l’échange.
À nouveau, c’est par l’intermédiaire de l’arbitrage qu’est arrivée cette innovation avec le développement du Hawk Eye à partir de 2006 qui associe vidéo et logiciel de traitement d’image avant d’être industrialisé par Sony. Cela ouvre la voie à l’exploitation des données de masse à des fins d’analyse ou prédiction, notamment par les logiciels développés par IBM.
Des sociétés ont repris le concept avec notamment PlaySight pour les infrastructures sportives et les grands clubs. SmartCourt de PlaySight est un système de cinq caméras, couplé à des analyses et des logiciels de traitement d’image, qui permet aux utilisateurs d’analyser tous les aspects d’un jeu. Il enregistre en vidéo en temps réel à la fois joueur et mouvement de la balle pour donner une image complète de l’activité sur le terrain. Toutes les données peuvent être analysées immédiatement et ensuite téléchargées sur le compte personnel d’un joueur sur le Web. Quelques start-up comme Mojjo ou SportPlus en France, tentent de se lancer sur le créneau grand public en essayant de trouver des solutions plus économiques pour élargir la diffusion du service à tous les passionnés de tennis.
Aujourd’hui, le tennis est le second sport le plus connecté après le running. L’analyse pointue de la caméra est incontournable dans les grands tournois. Depuis de nombreuses années, le logiciel d’IBM Slam Tracker dispose de l’ensemble des statistiques des matchs joués en Grand Chelem et sur la plupart des tournois ATP et WTA. Il enrichit en permanence son potentiel d’analyse. En octobre 2015, il avait en mémoire pas moins de 41 millions de points joués dans les tournois du Grand Chelem.
A partir de là, il met en évidence trois conditions de victoire qui seront selon lui les clés du match pour remporter la rencontre. Aujourd’hui, selon IBM, 98% des joueurs ayant rempli les trois conditions de victoire fixées par le logiciel ont gagné. Chez les joueuses ce taux atteint la perfection, 100%. Il convient toutefois de ne pas confondre cause et conséquence. À l’instar du principe d’incertitude d’Heisenberg en physique, à trop éclairer une donnée, il existe le risque de la déformer. Avoir comme condition de passer plus de 60% de ses premiers services pour gagner peut inciter le joueur à servir moins fort que d’habitude et à être moins efficace sur son service. Par ailleurs, avoir comme condition de remporter plus de 55% des points sur seconde balle adverse n’aide pas vraiment le joueur dans son approche du match.
Dans ce contexte, en quoi ces nouveautés technologiques peuvent-elles être utiles pour un joueur ou pour son coach pour améliorer ses tactiques de jeu durant un match ?
II.Technologie et tactiques de jeu
Quelle est l’utilité des objets connectés pour l’amélioration de son jeu ? Au-delà de la curiosité naturelle sur la vitesse de ses balles et les niveaux d’effet mis dans les frappes et de l’identification de quelques problèmes majeurs, comme des difficultés de bon centrage en coup droit ou en revers, j’estime que les objets connectés ne sont pas d’une aide considérable pour améliorer sa tactique et plus généralement son niveau de jeu.
En revanche, les terrains connectés permettent de fournir énormément d’informations utiles au joueur surtout dans le cadre d’analyse comparative avec l’adversaire ou avec des performances passées. En mettant en perspective l’impact du coup joué et son résultat dans l’échange, il apporte une dimension supplémentaire que la raquette connectée ne fournit pas. Dans une optique d’amélioration des résultats, cet élément est décisif.
D’un point de vue tactique, un terrain connecté permet de disposer d’une masse d’informations considérable sur notamment :
- le déplacement des joueurs ;
- le placement des balles et des services ;
- les types de fautes commises ;
- le couple vitesse / effet / placement / taux de réussite des services ;
- le point d’impact de la frappe de balle ;
- les habitudes tactiques sur les points critiques.
Aujourd’hui les informations détaillées issues du Hawk Eye sont limitées et fournies aux télévisions pour donner des explications ciblées sur certains aspects du match. Elles sont complétées par l’analyse humaine avec des compilations faites par des spécialistes (comme Stéphane Trudel) pour des informations qui ne peuvent pas être traitées par la numération des images. L’absence d’accès égal des joueurs à cette information est naturellement un souci. Ces données ne sont pas publiques et certains passionnés du tennis essaient de reconstituer des statistiques à partir du visionnage des matchs par la communauté du tennis (www.tennisabstract.com de Jeff Sackmann).
La WTA, l’association des joueuses professionnelles, est beaucoup plus progressiste et ouverte au changement que l’ATP. Par exemple, à la discrétion des joueuses mais en dehors des tournois du Grand Chelem, le coaching sur le court est autorisé une fois par match lors d’un changement de côté depuis 2008.
Plus novateur encore, lors du tournoi de Palo Alto, la WTA a autorisé les joueuses et leurs coaches à disposer en temps réel des statistiques du match et de celles de l’ensemble des joueuses durant le tournoi sur des Ipad. Tout le monde ayant accès à la même information en toute transparence. Cela permettait aux joueuses de pouvoir vite s’adapter tactiquement pour pouvoir changer le cours du match. Les statistiques peuvent donner une vision plus objective de ce qui ne va pas que la perception à chaud du joueur sur le court.
L’apport des statistiques détaillées est par conséquent un outil important pour permettre de progresser quel que soit son niveau. Le nouveau Centre National d’Entraînement (CNE) ne dispose que d’un court équipé de la sorte, l’académie Mouratoglou à Sophia Antipolis de six, et on parle d’une vingtaine sur le futur centre américain d’entraînement fédéral en Floride à Lake Nona.
La diffusion et le partage d’une base de données Big Data de l’ensemble des joueurs à partir d’infrastructures vidéo HD largement développées auraient de nombreux avantages. Cela permettrait, entre autres, de comparer les performances avec tous les types de joueurs, d’identifier le partenaire idoine pour progresser, d’assurer du coaching à distance, d’avoir un classement mondial unifié entre les pays…
L’amélioration du jeu, la compréhension des erreurs et les actions correctives, l’élargissement de la palette des choix tactiques passent désormais par le recours à cette technologie, au moins au plus haut niveau.
Dans ce contexte, la démocratisation des pays d’origine des futurs champions n’est pas pour demain.
[1] Comme par exemple en 1978 avec le règlement qui interdit le double cordage. Par ailleurs, la Fédération Internationale du Tennis dispose actuellement d’un centre technique qui valide les raquettes. https://www.youtube.com/watch?v=xRDkIkxqdws
Pour En Savoir Plus :
Tennis – Les fondamentaux Tactiques
Cyril RAVILLY
Editions Amphora