Les entraînements croisés vélo/course à pied : bon ou mauvais pour le chrono ?

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Depuis quelques années, notamment à l’instigation de Bernard FAURE, ancien champion de France de marathon, il est devenu de mode d’inciter les coureurs à pied à remplacer des séances de leur entraînement par des séances de vélo. Mais ce conseil est-il réellement judicieux, ce qui revient en fait à se poser la question suivante : remplace-t-on une séance de course par une séance de vélo avec la même efficacité, c’est-à-dire en pouvant viser à long terme la même performance chronométrique ? C’est loin d’être sûr !

Tout d’abord, pourquoi cette recommandation, somme toute assez récente ?

D’abord parce que les spécialistes sont bien obligés de constater que la pratique de la course à pied use prématurément les ligaments et les tendons et que le but ultime reste de pouvoir courir le plus longtemps possible ; or, nos muscles et articulations souffrent moins sur un vélo, grâce à l’absence d’onde de choc ; diversifier son entraînement en alternant course et vélo permet donc de prolonger sa durée de vie de coureur, notamment sa carrière de marathonien.

Si le choix de cette alternance, c’est-à-dire de ne pas faire toutes les séances en courant, d’une préparation marathon par exemple, s’est porté sur le vélo, c’est parce qu’il s’agit également d’un sport d’endurance, où l’on peut travailler ses allures au cardio-fréquencemètre comme en course, et associé d’ailleurs à la course à pied dans de nombreuses épreuves d’endurance : duathlon, triathlon, bike and run. Et les pratiquants de ces sports ont pu mesurer que progresser dans l’une des disciplines amène à progresser dans l’autre. Progresser d’accord, mais cela ne veut pas dire (n’oublions pas notre préoccupation première) progresser autant chronométriquement sur semi ou marathon qu’en ne faisant que des séances de course à pied !

Quelles réserves peut-on émettre à l’égard de cette substitution ? Cela revient à se poser la question suivante : quel travail effectué pendant la séance de course ne serait pas accompli, ou pas accompli de façon aussi bénéfique, pendant une séance de vélo ? Avant de sonder cette question, un rappel quand même, qui constitue une autre réserve : la séance de vélo, pour être d’un volume équivalent, devra être deux fois plus longue, soit 2 h de vélo pour 1 h de course à pied, 3 h pour une séance de 1 h 30, pas forcément une sinécure en hiver où rouler est bien plus difficile que courir à cause du froid et de la pluie glacée ! Mais revenons à nos réserves :

• D’abord, la pratique du vélo élargit le tour de cuisse et augmente de façon générale la masse musculaire, le poids, exactement le contraire de la course à pied qui en fait perdre. Or, cette perte de poids est un facteur prépondérant de la performance chronométrique, et donc une préoccupation générale.

• Ensuite, cette économie des tendons et articulations se retourne temporairement contre la pratique du vélo, car il faut apprendre, lors de tout travail de vitesse (VMA ou seuil) à gérer la douleur particulière due à la répétition de l’onde de choc et à la multiplication de l’acide lactique. On n’a jamais intérêt à trop se faciliter les choses à l’entraînement, qui a pour but de rendre les choses plus simples le jour de la compétition. À l’entraînement, il faut donc se contraindre à s’habituer à certains désagréments pour mieux arriver à les surmonter le jour de la compétition ; se réserver au contraire le pire pour la compétition, c’est risquer évidemment de ne pas être capable de l’affronter le jour J. La même raison joue en défaveur du vélo pour la séance longue, puisque son principe même est de nous habituer à endurer la fatigue musculaire que nous retrouverons le jour du marathon (mais avez-vous vraiment envie de remplacer les 2 h de la séance longue par 4 h de vélo, surtout en hiver ?).
D’autre part, tout travail de vitesse, si traumatisant soit-il, fait naturellement travailler les qualités proprioceptives, et doit nous amener, spécifiquement quand on va vite, à améliorer notre foulée, travail qui disparaît en même temps que l’onde de choc lors de la séance de vélo.

• Enfin, de façon plus générale, même si les deux sports sont basés sur des qualités de vitesse et d’endurance, ce ne sont pas exactement les mêmes groupes musculaires qui travaillent. Aussi, incontestablement, une séance de vélo à 80 ou 90 % FCM vous servira beaucoup pour préparer un semi ou un marathon mais, néanmoins, pas exactement autant (pas avec un rendement aussi optimal) que la séance de course à pied à 80 ou 90 % FCM. À cette différence de rendement s’ajoute une réserve supplémentaire : comme ce ne sont pas exactement les mêmes muscles qui travaillent, le passage d’un sport à l’autre d’un jour sur l’autre, voire le passage rapide de l’un à l’autre lors d’une séance de run and bike ou d’un enchaînement de triathlon, peut faciliter les blessures. Les triathlètes sont-ils plus blessés que les coureurs à pied ? Les avis divergent. En réalité, quel que soit le sport, c’est l’enchaînement de séances dures sans séances souples en tampon qui prédispose à la blessure, et la naïveté consiste ici à croire que l’absence d’onde de choc permettrait d’enchaîner immédiatement ou d’un jour sur l’autre une séance dure de course à pied et une séance dure de vélo (ou l’inverse), quand on n’oserait jamais enchaîner deux séances dures de course à pied à une journée d’intervalle. L’alibi de l’absence d’onde de choc devient prétexte à « bourriner » !

La conséquence des deux derniers points est évidente : on réservera les séances de vélo au remplacement des séances de course à pied souples dépourvues et de travail technique et de recherche optimale de vitesse. Concrètement, la séance de vélo sera donc idéale :

• Le lendemain de la séance longue (en général le lundi) ou le lendemain de la séance de vitesse (en général le mercredi ou le vendredi) ; l’absence d’onde de choc facilitant la récupération.

• En récupération, pour la même raison, la semaine, a priori dénuée de vitesse, qui suit un semi, a fortiori un marathon, pour éviter la blessure plus menaçante quand les jambes sont fatiguées par une course. Il sera très favorable, pour des raisons identiques de récupération, de faire une séance courte et lente de vélo, d’extérieur ou d’appartement (ou de home trainer), après une séance de piste (faire l’aller-retour à vélo ?) ou une course, mais cette séance qui accélère la récupération est, vous l’aurez noté, une séance « en plus » et non « à la place » de la séance de course.

Beaucoup de séances d’un plan marathon pourront donc devenir des séances de vélo et il sera également idéal de faire majoritairement du vélo dans les périodes où vous ne préparez pas de compétition, par exemple au printemps et en été après votre marathon de printemps (ou au printemps, en « tampon », si vous faites deux marathons par an, l’un au printemps, l’autre en automne). Cela vous permettra de mieux récupérer, de prolonger votre durée de vie de coureur et de retrouver de la motivation pour la saison suivante en variant les plaisirs. Si vous êtes un compétiteur-né, rien ne vous empêchera alors de préparer une cyclosportive d’été ou un run and bike en hiver (voire un duathlon) en avant-saison de marathon, pour avoir déjà la forme au moment d’entamer un plan marathon exigeant. Quoi qu’il en soit, n’arrêtez jamais complètement, sauf blessure, de courir (mais courez souple à ce moment-là), la reprise est trop difficile après 10-15 jours de coupure… et prédispose également à la blessure !

En conclusion, la pratique du vélo ne permet nullement de remplacer de façon également satisfaisante, avec le même rendement, des séances de vitesse (seuil ou VMA) ni même la séance longue, mais elle sera parfaite en remplacement partiel de la course à pied pour toutes les périodes de récupération, que ce soit à l’intérieur de la semaine, lors d’une semaine de récupération (dite de « décélération ») d’un plan, ou lors d’une période de plusieurs mois de régénération.

Pour En Savoir Plus :

Semi et Marathon – Baisser ses chronos

Charles Brion

Editions Amphora

A890

Charles BRION

Charles BRION

Charles BRION est agrégé de lettres et triathlète sur longues distances. Il a couru 12 marathons « secs » entre 2 h 44 et 3 h 04 de 1998 à 2012 et a participé à une cinquantaine d’autres courses de 10 à 35 km.